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"Pour nous, il est encore vivant, il est dans nos cœurs" - Un an après la Marche de la Justice de Prigogine, la Russie a-t-elle peur de gagner en Ukraine?
Il y a maintenant un peu plus d'un an, l'esprit qui a présidé à la Marche de la Justice, lancée par le chef de Wagner, Evguény Prigogine, que d'aucuns, surtout en Occident, continuent à décrire comme une "mutinerie", ce n'était évidemment pas de renverser le pouvoir de la Fédération de Russie, mais bien de chasser de son poste le ministre de la Défense, Choïgou et le clan bureaucratique et parasite qu'il protégeait autour de lui, dans son ministère et souvent au delà, dans l'administration et le monde des affaires en Russie.
Or si à partir de l'arrestation spectaculaire de son adjoint Timour Ivanov, il a semblé difficile aux observateurs occidentaux de comprendre le signal ainsi donné par le Kremlin, le lien direct aurait pu leur paraître plus évident avec l'éviction de Choïgou lui-même de son ministère, et surtout, avec la nomination, à sa place, de Belooussov, sans expérience militaire mais réputé pour son intégrité et celle, en quelque sorte, de sa "mise en tandem" avec également le "nouveau conseiller" de Poutine, Alexeï Dioumine, véritable général de terrain lors de conflits précédents, mais devenu entre temps gouverneur de Toula, avec également une réputation d'intégrité, et qui avait notoirement refusé de charger Prigogine et ses compagnons, défendant ouvertement et courageusement leur mémoire au moment du crash de leur avion, le 23 Août de l'an dernier.
Mais suite à la "mise à l'écart" de Choïgou, une série impressionnante d'arrestations a commencé parmi les plus hauts gradés de son ministère, plus une série de "démissions" plus ou moins "spontanées", et de mises "hors service" d'autres gradés et responsables administratifs de haut rang. Une vague de "nettoyage" qui se poursuit encore, même si à une échelle désormais un peu moins spectaculaire...
Il devient donc difficile, même aux observateurs occidentaux, de nier qu'il se produit un mouvement en profondeur dans la société russe, dans ses conceptions et son rapport à son combat pour l'indépendance de la nation, tant par rapport à l'Occident, que par rapport aux conceptions occidentales elles-mêmes.
Réduire ce mouvement à une simple lutte de clans bureaucratiques entre eux peut évidemment expliquer une partie de cette réalité, mais il est clair que les critiques occidentaux, très oublieux de balayer devant leurs portes, question corruption, préfèrent ainsi également "oublier" que c'est bien par la porte de la corruption que leur idéologie mondialiste et capitulationniste arrive parfois à pénétrer en Russie.
Luniterre
Une statue représentant Evguéni Prigojine sur sa tombe au cimetière de Saint-Pétersbourg, le 20 juin 2024 en Russie AFP Olga MALTSEVA
En Russie, Prigojine toujours respecté un an après sa mutinerie
Un an après la mutinerie du groupe paramilitaire Wagner, qui avait jeté un défi sans précédent au pouvoir de Vladimir Poutine, et malgré la mort de son chef Evguéni Prigojine, il continue de susciter le respect chez de nombreux Russes.
M. Prigojine est mort dans un accident d'avion aux circonstances troubles deux mois après sa révolte des 22-23 juin 2023, et son groupe a depuis été de facto refondé et placé sous l'autorité du ministère de la Défense. Mais sa rébellion a marqué l'imaginaire du pays.
Pour Alexandre Oulianov, 60 ans, gardien dans une église orthodoxe, Prigojine, un ancien détenu de droit commun devenu un homme d'affaires proche du Kremlin, "était un grand homme", qu'il compare à d'illustre généraux de l'histoire russe tels qu'Alexandre Souvorov au XVIIIe siècle ou Mikhaïl Koutouzov pendant les guerres napoléoniennes.
Un mémorial improvisé en l'honneur de Evguéni Prigojine, près du café qu'il possédait à Saint-Pétersbourg, le 20 juin 2024AFP"Il a beaucoup fait pour la Russie dans ce moment difficile", assure-t-il, en référence au conflit en Ukraine, où Wagner a notamment mené la bataille la plus sanglante, celle de Bakhmout en 2023. C'est pour cela qu'Alexandre admire le groupe pour sa "discipline" et sa "fidélité" à la Russie.
"Pour nous, il est encore vivant, il est dans nos cœurs", lance-t-il.
A deux pas du Kremlin, un mémorial improvisé est consacré aux soldats russes morts en Ukraine. Parmi leurs visages, le portrait de Prigojine et l'emblème de son groupe : un crâne orné du slogan "Sang, honneur, patrie et courage".
Et dans l'ancienne capitale russe, Saint-Pétersbourg, une statue grandeur nature trône depuis peu sur la tombe de Prigojine.
Des combattants du groupe Wagner sur un char dans une rue de Rostov, le 24 juin 2023 en RussieAFP/ArchivesAlors que la Russie est engagée dans une répression implacable de toute dissidence, une telle glorification peut surprendre, car le mutin, dont les hommes sont par ailleurs accusés d'exactions en Ukraine et en Afrique notamment, avait osé défier Vladimir Poutine, qui l'avait qualifié de "traître".
Des passants et des touristes s'arrêtent devant le mémorial. Parmi eux, une femme qui a été témoin de la mutinerie : Svetlana, venue de Rostov-sur-le-Don, grande ville du sud de la Russie dont Prigojine et ses hommes avaient pris le contrôle le 23 juin 2023.
"Ils leur criaient Hourra"
"C'était terrible de voir des chars dans le centre-ville", se souvient cette professeure d'anglais âgée de 42 ans, qui a refusé de donner son nom de famille.
Des combattants du groupe Wagner se préparent à quitter Rostov, le 24 juin 2023 en RussieAFP/ArchivesPour elle, Prigojine reste "une personnalité remarquable, sinon autant de gens ne l'auraient pas suivi", même si elle n'approuve pas sa "marche" sur la capitale russe, au cours de laquelle des hélicoptères de l'armée russe avaient notamment été abattus.
Evguéni Prigojine, connu pour ses prises de paroles souvent fleuries mais directes, jouait sur une corde sensible pour les Russes: il dénonçait corruption et incompétence au sein du ministère de la Défense et de l'état-major, alors qu'aucune issue pour l'offensive russe en Ukraine n'est en vue.
"A Rostov, les gens ont d'abord eu peur, mais ensuite ils ont commencé à parler aux combattants (de Wagner), à fraterniser avec eux. Et le soir il leur criaient déjà: +Hourra!+", se souvient Svetlana.
Pour autant, "s'il y avait des problèmes, il fallait les régler intelligemment et non pas attaquer le sud de la Russie et faire peur aux civils", estime-t-elle.
Image tirée d'une vidéo postée sur le compte Telegram du service de presse Concord, du chef du groupe paramilitaire Wagner Evguéni Prigojine à Rostov, le 24 juin 2023TELEGRAM/ @concordgroup_official/AFP/ArchivesUne autre femme d'une cinquantaine d'années s'arrête devant le mémorial et soutient: "Prigojine avait peut-être raison lorsqu'il critiquait le ministère de la Défense", car aujourd'hui, "des généraux sont mis en prison" pour corruption.
"J'ai toujours du respect pour tous les combattants de Wagner", affirme pour sa part un Américain âgé de 41 ans, qui vit depuis 7 ans en Russie et s'est présenté sous le nom de guerre de "Teddy Boy". Il vient de signer un contrat avec Espagnola, un autre groupe paramilitaire russe combattant en Ukraine.
"Je ne suis pas à 100% avec Prigojine, mais si je l'avais rencontré, je lui aurais serré la main. Il a dit beaucoup de choses que les gens pensent, mais qu'ils ont peur de dire", explique-t-il.
https://information.tv5monde.com/international/en-russie-prigojine-toujours-respecte-un-apres-sa-mutinerie-2726943
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Voilà ce qui s’est vraiment joué derrière le changement de ministre de la Défense russe - Atlantico
Le ministre russe de la Défense, Sergueï Choïgou, a été limogé le 12 mai dernier par Vladimir Poutine.
Atlantico : Selon vous, pour quelles raisons Vladimir Poutine a changé de ministre de la Défense ?
Viatcheslav Avioutskii : Il y a plusieurs raisons qui se chevauchent. La première est que Vladimir Poutine n'est pas entièrement satisfait de la vitesse de progression de l'armée sur le front, même si certaines avancées récentes ont été notables. Cependant, il pense que ce n'est pas suffisant. Deuxièmement, il y a une autre raison qui remonte au début de l'intervention russe en Ukraine. Il est déçu de la phase initiale de l'opération. M. Choïgou était responsable de cette offensive contre Kiev, qui devait réussir rapidement et a été surnommée "Kiev en trois jours", mais qui a complètement échoué. Troisièmement, il y a l'effet de Prigojine. Choïgou n'a jamais réussi à s'imposer face à Prigojine, qui a finalement été écarté. Prigojine a discrédité en partie le rôle de Choïgou, ternissant son image. Enfin, Choïgou n'est pas populaire au sein de l'armée. Cette impopularité a augmenté considérablement ces derniers mois. Toutes ces raisons expliquent pourquoi il a été limogé et transféré à un poste à géographie variable, où il peut encore jouer un rôle, mais où il pourrait également être marginalisé. Je parle du poste de secrétaire du Conseil de sécurité de la Russie. De plus, on constate, depuis plusieurs semaines, que son groupe d'intérêt a monopolisé une partie du pouvoir en Russie, en instrumentalisant son contrôle sur l'armée. Ce clan s'est hissé face à d'autres clans puissants qui partagent le pouvoir autour de Vladimir Poutine. Le renvoi de Choïgou est donc également une réponse à la pression de ces clans qui cherchent à s'imposer.
On observe une réorganisation à différents postes du ministère de la Défense russe, accompagnée d'accusations de trahison, de corruption, de malversation. Est-ce que ces accusations sont fondées ou s'agit-il d'une volonté d'écarter les membres du clan Choïgou ?
En fait, ce qu'il faut savoir, c'est que la corruption est un élément essentiel et largement répandu à l'intérieur de la Russie. La corruption permet à certains clans de s'emparer de flux financiers d'origine étatique. Pour revenir à Choïgou, il est une figure notable. Il y a une quinzaine d'années, il faisait partie des successeurs potentiels d'Eltsine. Même après l'arrivée de Vladimir Poutine, il était bien vu par la population, considéré comme fiable et positif. Il a occupé des postes ministériels dès la fin de l'URSS. Choïgou n'est pas issu des forces armées, c'est un civil. Pendant une quinzaine d'années, il a été perçu positivement. Cependant, au fil du temps, il est devenu de plus en plus corrompu. Son entourage s'est enrichi, et lui-même aussi, rendant son opulence un prétexte pour attaquer son clan. Ainsi, la réorganisation et l'arrestation de certains proches du ministre de la Défense ressemblent à une purge visant à éliminer son clan. Un de ses fidèles, accusé de corruption et de détournement de fonds publics, l'accompagnait depuis son passage comme gouverneur de la région de Moscou. Depuis une dizaine d'années, ils travaillaient ensemble. Les arrestations montrent que Choïgou n'aura pas d'influence au poste qu'il occupe actuellement, ce qui signifie une menace permanente sur lui et son entourage. Il est également notable que tous les adjoints de Choïgou ont démissionné immédiatement après son transfert. Ils ne sont pas encore sous investigation, mais leur démission signifie que le ministère de la Défense sera désormais dirigé par une nouvelle équipe.
Pourquoi les proches de Choïgou sont-ils mis en prison et non simplement écartés ?
Je crois que M. Poutine a un intérêt à démasquer non seulement la corruption à un niveau intermédiaire, mais aussi à montrer qu'il lutte contre cette corruption. Par exemple, beaucoup de gouverneurs sont sous le coup d'investigations, et une partie significative d'entre eux finissent en prison. On peut estimer que 5 à 10 % des gouverneurs terminent en prison, ce qui montre que ce n'est pas une carrière sûre. Ces gouverneurs profitent du système, mais certains d'entre eux, liés de longue date à M. Poutine, n'ont jamais été inquiétés. Il existe une longue liste de personnes qui ne seront pas inquiétées tant que Poutine sera au pouvoir. Pourtant, pour montrer à la société russe qu'il lutte contre la corruption, il faut des exemples. Choïgou, qui a été limogé n’est pas inquiété judiciairement parce que sinon Poutine serait éclaboussé. Ainsi, Poutine envoie un message : la situation dans le ministère de la Défense est mauvaise, Choïgou n'est pas directement impliqué mais reste responsable et est donc sanctionné et transféré. Ce message montre une violence relative dirigée contre les membres du clan Choïgou, qui est en train d'être démantelé.
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