Comprendre la faillite de la Silicon Valley Bank (SVB) en 7 questions
Par Mamadou Séne / Libre opinion
Qu’est-ce la Silicon Valley Bank (SVB) ?
La Silicon Valley Bank (SVB) est une banque californienne créée en 1983 et qui a pour mission de pourvoir aux besoins financiers des start-ups, c’est-à-dire des entreprises de ce qu’on appelle la « tech ». Fin 2022, elle comptait 209 milliards de dollars d’actifs et environ 175,4 milliards de dollars de dépôts. A la date de sa mise en faillite, le vendredi 10 mars 2023, elle était la 16e plus grande banque américaine et la plus importante de la Silicon Valley par les dépôts.
SVB opère, soit comme banque d’investissement, soit comme banque commerciale, essentiellement aux États-Unis — en Californie et dans le Massachusetts—, au Royaume-Uni, au Canada, en Chine, à Hong Kong, etc.
Qu’est-ce qui s’est passé à la SVB ?
Pendant longtemps, SVB se portait bien, les entreprises de la « tech » aussi et elles plaçaient leur trésorerie chez elle. Mais le secteur connaît depuis quelques mois un ralentissement et les entreprises ont eu besoin de récupérer une partie de leur trésorerie confiée à SVB.
Conformément au fonctionnement de toute banque, SVB utilisait une partie des dépôts de ses clients pour ses opérations de prêts et d’investissements. Ces investissements portaient essentiellement sur l’achat de bons de Trésor américains, un placement a priori peu risqué. Pour faire face aux retraits massifs des entreprises de la « tech », SVB s’est vue obligée de vendre une partie de son portefeuille de bons du Trésor parce que ne disposant pas de suffisamment de trésorerie et voyant ses tentatives de levée de fonds avorter.
Mais la vente de ses bons du Trésor a précipité sa chute, parce que ses titres se sont beaucoup dépréciés du fait des hausses successives des taux directeurs de la Fed enregistrées en 2022. Les pertes sur les titres et la difficulté de lever des fonds ont créé une situation de panique chez ses clients, les entreprises de la « tech », qui se sont précipitées pour retirer leurs dépôts. A propos de ses taux directeurs, en vue de juguler l’inflation qui frappe les États-Unis depuis la sortie de la période de la covid, la banque centrale américaine, la Fed, les a modifiés neuf fois à la hausse, les faisant passer de 0,25% en janvier 2022 à 4,75% en février 2023. Il faut savoir qu’il y a une relation quasi-mécanique entre la hausse des taux d’intérêt et la baisse des cours des titres. En effet, lorsque les taux d’intérêt montent, les investisseurs ont tendance à vendre en masse leurs « vieilles » obligations pour en acheter de « nouvelles », ce qui entraîne la baisse des cours des premières. Les pertes enregistrées sur les titres, l’incapacité à lever des fonds et l’insuffisance de liquidité qui en découle pour faire face aux retraits massifs d’argent ont sapé la confiance des clients de SVB, ce qui a accru les intentions de retrait et accentué les difficultés de trésorerie de la banque. Il s’est alors installé une panique bancaire et, conséquemment, une crise de liquidité et une crise de solvabilité. Ainsi, le jeudi 9 mars 2023, SVB a perdu 60 % de sa valeur à la Bourse de New York et le vendredi 10 mars la cotation de son action a été suspendue avant le début de la séance.
Ce vendredi 10 mars, des vérificateurs de la Fed et de la Federal Deposit Insurance Corporation (FDIC), l’organisme chargé de la garantie des dépôts aux États-Unis, sont arrivés dans les bureaux de SVB pour faire l’état de la situation financière de la banque et plusieurs heures plus tard, au vu de l’insuffisance de liquidité et de l’insolvabilité de la banque, le Département Californien de la Protection Financière et de l’Innovation (DFPI) a annoncé qu’elle prenait possession de la banque et a confié sa gestion à FDCI.
Quelles ont été les mesures prises par les autorités américaines ?
Les autorités américaines ont rapidement pris une série de mesures en vue d’éviter tout risque systémique, c’est-à-dire de contagion d’autres banques, d’autres secteurs et d’autres pays.
Le vendredi 10 mars, conformément à la mission qui lui est confiée, la FDIC a créé une banque temporaire, the Deposit Insurance National Bank of Santa Clara et a décidé de rouvrir aux clients les succursales et agences de la banque le lundi 13 mars .
Le dimanche 12 mars, les autorités ont annoncé garantir exceptionnellement l’intégralité des dépôts de la banque en faillite, sachant que seuls 4% des dépôts de SVB disposaient de la garantie traditionnelle. En plus, la Fed s’est engagée à prêter les fonds nécessaires à toute autre banque qui en aurait besoin pour honorer les demandes de retraits de ses clients. Ces deux mesures ont pour objet d’annihiler tout risque de panique bancaire plus large. FDIC a mis aux enchères SVB pour trouver un repreneur au plus vite. Elle espère recevoir des offres de grandes banques, maintenant que les dépôts sont tous garantis.
Le lundi 13 mars 2023, FDIC a créé une nouvelle banque-relais, la Silicon Valley Bridge Bank, N.A., et lui a transféré les actifs de la SVB. A la même date, à Londres, HSBC annonce avoir racheté pour un pound symbolique la filiale britannique de la banque.
Quels ont été les effets de cette faillite ?
L’effet immédiat et instantané de la faillite de SVB est la baisse des bourses et en particulier celle des cours des actions des banques. Ainsi, aux États-Unis, les quatre principales banques ont perdu 52 milliards de dollars en Bourse dès le jeudi 9 mars : JPMorgan Chase 5,4 %, Bank of America 6,20 %, Citigroup 4,10 % et Wells Fargo 6,18 %. Les cours des banques européennes et asiatiques ont également flanché. Dès le vendredi, les cours se sont redressés.
Le dimanche 12 mars, une autre banque, Signature Bank, spécialisée dans les cryptomonnaies, a aussi connu sa panique bancaire et les autorités ont décidé le dimanche 12 mars 2023 de lui appliquer la même thérapeutique. Elle était la 21ème banque américaine, avec des actifs de 110 milliards de dollars et des dépôts de 88 milliards de dollars à la fin de 2022.
Quelles sont les causes de la vulnérabilité de SVB ?
Deux causes semblent se détacher à propos de la vulnérabilité de SVB :
Une diversification insuffisante de ses opérations : celle-ci porte sur la clientèle — les start-ups — et sur les investissements — les bons du Trésor américains— ; la diversification des risques est une des règles fondamentales de la gestion bancaire ; l’insuffisance de diversification sectorielle est par définition une faiblesse intrinsèque des banques spécialisées, comme le montre le cas de SVB ;
L’assouplissement de la régulation bancaire sous le Président Trump : ce dernier, a entamé dès son entrée en fonction en janvier 2017 un détricotage de la loi Dodd-Frank sur la réforme de Wall Street et la protection des consommateurs, votée en 2010 sous le Président Obama en réponse à la crise financière de 2008 : par exemple, le Congrès a voté en 2018 une réforme de la loi Dodd-Frank, en relevant de 50 à 250 milliards de dollars d’actifs le seuil à partir duquel les banques sont contrôlées par la plus haute instance de surveillance ; voulu on non, SVB était toujours en dessous de ce seuil et échappait à ce contrôle renforcé qui ne concernait que les très grandes banques.
Y a-t-il des risques de propagation de la crise aux États-Unis et dans le monde ?
On peut heureusement constater que la panique bancaire qui a frappé SVB ne s’est propagée ni aux États-Unis, ni dans le reste du monde pour les raisons suivantes :
La réaction rapide des autorités américaines : tant pour les décisions que pour leur exécution, cette rapidité a circonscrit l’incendie et a empêché sa propagation aux États-Unis et dans le reste du monde ; elle est l’une des leçons tirées des crises précédentes ;
Le caractère spécialisé de la banque : même si SVB est une banque importante, le fait qu’elle soit une banque spécialisée, ayant pour clientèle essentiellement un seul secteur industriel et donc interférant peu avec d’autres secteurs, a réduit les risques de propagation de la panique ; en plus, à l’échelle internationale, SVB a peu de liens directs avec les banques européennes, asiatiques ou africaines, ce qui a limité tout effet de contagion ;
Le renforcement de la régulation bancaire depuis 2010 : de la crise financière de 2008, le système bancaire mondial a tiré un certain nombre de leçons et s’est doté d’une régulation plus robuste, à travers les recommandations du Comité de Bâle. Si ces recommandations ont été quelque peu assouplies aux États-Unis sous la présidence de Donald Trump, elles sont intactes en Europe et en Afrique.
Quelle leçon faut-il tirer de la faillite de SVB ?
Pour ma part, je retiens trois leçons :
La faillite de SVB est un dégât collatéral de la politique monétaire menée par la Fed, la même menée pour toutes les banques centrales en vue de juguler l’inflation ; elle montre la complexité de la politique économique ; comme dans toute médication, la surveillance des effets indésirables exige une vigilance sans relâche ;
La panique bancaire est la pire situation pour une banque ; une fois qu’elle s’installe, la banque dispose de peu de moyens ; il faut donc faire qu’elle ne se produise jamais ;
Pour toute banque, la diversification et la division des risques est une exigence absolue ; les banques spécialisées, plus exposées à une insuffisance de diversification, doivent faire preuve de beaucoup plus de vigilance ;
La mise en place et le respect d’une règlementation bancaire stricte et d’un dispositif prudentiel vigoureux sont perçus par certains comme des contraintes excessives ; à mon avis, ils sont les garde-fous contre les dérives et les pratiques hasardeuses de certains acteurs du monde bancaire. Dans l’UEMOA, la Commission bancaire veille.
Bref, le socle sur lequel se construit la banque sous toutes les latitudes est la confiance des déposants et celle-ci ne va pas sans la bonne gouvernance et, en conséquence, la solidité financière.
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